AGENDAOU.fr Vivre en Rance-Émeraude
  1. Agendaou
  2. Actu
  3. Brèves

Michel Le Bris, le dernier départ de l'Etonnant Voyageur

Michel Le Bris, 2019 ©Étonnants voyageurs

Michel Le Bris est décédé ce 30 janvier à l'âge de 76 ans à la Couyère (35), à son domicile, auprès de sa femme et de sa fille.

Lécrivain engagé

Mon enfance fut pauvre et solitaire (…). J’y ai découvert la puissance de libération des livres, par la grâce d’une rencontre miraculeuse avec un instituteur, engagé, sensible, qui m’ouvrit sans retenue sa bibliothèque.
Michel Le Bris

Natif de la Baie de Morlaix, Michel Le Bris se fait connaître au tournant des années 60 comme  directeur de la Cause du peuple, l'organe de presse maoïste de la Gauche prolétarienne.
A ce titre, il est condamné au côté de Jean-Pierre Le Dantec, son prédécesseur, à 8 mois de prison.
En désaccord avec ses camarades de la Gauche Prolétarienne, il quittera quelques années plus tard ce mouvement pour co-fonder Libération, puis travailler au Nouvelle-Observateur mais aussi à France 3 Ouest dont il fut directeur des programmes.

Intellectuel reconnu, grand écrivain, spécialiste de Stevenson, c'est à ce titre qu'il vient à Saint-Malo inaugurer une exposition en 1990.

L'hommage du maire de Saint-Malo

C’était en 1989, Michel Le Bris venait pour la première fois à Saint-Malo inaugurer l'exposition Stevenson qui avait lieu dans la Tour des Dames et qui était organisée par l'Association France Grande-Bretagne.
Ce jour-là, un samedi après-midi, René Couanau lui avait dit: " Si vous avez une idée d'événement culturel pour Saint-Malo, je vous soutiendrai".
Quelques semaines plus tard, Michel Le Bris revenait avec Maëtte Chantrel et Christian Rolland et proposait Étonnants Voyageurs.
Ce fut la naissance de trente années d’un festival dont le succès ne s’est jamais démenti [...]

Cher Michel, vous avez ouvert votre cœur et votre esprit aux auteurs du monde entier, aux jeunes, aux Malouins, aux cinéphiles, à tous les amoureux des mots et de la vie… Sans retenue, avec toute votre sensibilité et votre engagement, vous aussi aurez été notre phare… Cher Michel, Saint-Malo du monde entier que vous aimiez vous doit tant ! Merci.
Gilles Lurton, Maire de Saint-Malo

"Saint-Malo, Michel Le Bris… La belle histoire n’aurait été, ni perduré, sans René Couanau, qui sut voir en l’homme de lettres, également philosophe, cette capacité d’émerveillement, de questionnement, d’humanité… qui nous rassemble, et nous fait grandir."

Cette aventure d’Etonnants Voyageurs m’aura appris que si vous donnez tout de vous, sans réserve ni calcul, tous, public comme écrivains, vous le rendent au centuple. Elle aura dévoré ma vie, mais en retour l’aura incroyablement enrichie. 
Michel Le Bris

Le défenseur de la planète et des minorités, l'observateur lucide de son temps

ÉTAT DE CRISE, l'édito de Michel Le Bris pour le Festival Etonnants Voyageurs 2019 semblent plus jamais d'actualité.
Nous le publions ci-dessous en intégralité.

"Bouleversement de tous les équilibres mondiaux, guerre économique ouverte, effondrement de nos systèmes de représentation du monde, guerre déclarée de plus en plus ouvertement à nos valeurs fondamentales – démocratie, droits de l’homme, laïcité – montée, partout, des régimes autoritaires, sinon des dictatures ; montée des intégrismes – dont les femmes sont les premières victimes –, fragmentation accélérée de la société, lente implosion d’une Europe dont nous savons, quel que soit le résultat des élections de ce prin-temps qu’elle sera à réinventer dans le pire des tourmentes depuis sa création. Et voici que 15 000 savants du monde entier lancent un appel qua-si-désespéré : ce n’est plus que la planète va mal : elle meurt sous nos yeux.

« Demain la guerre ? », nous inquiétions-nous ici même lors d’une précédente édition : « en vain, nous fermons les yeux sur ce qui agite le corps social, le fragmente, oppose les uns aux autres, sous de multiples prétextes, montée de l’antisémitisme, du racisme, de l’homopho-bie, guerres des mémoires, guerres de religion, guerre de mots. Et les contorsions sémantiques pour nier l’évidence n’y pourront rien. La guerre envahit les esprits quand elle est dans les mots. Et elle y est, vrai-ment. Anathèmes, injures, petites phrases, calomnies : le degré zéro de la pensée. On ne s’écoute plus : on s’assassine, on s’excommunie, alors même que l’on se proclame laïque, ou athée. Que nous ne nous aimons plus, au moins, la chose est claire ».

De quoi s’inquiéter, en effet, quand l’intimation du « nouveau » à tout prix paraît vouloir effacer la trame même du passé, que la communication toute puissante aboutit à la promotion du plus futile, et que les géants du Net nous promettent une société de surveillance généralisée, décidant et de nos goûts et de nos lectures par des algorithmes de plus en plus sophistiqués, tandis que nos démagogues «maîtres penseurs » brandissent en remèdes-miracles des idéologies pourtant responsables des deux plus grandes catastrophes du XXe siècle.

Extraordinaire renversement, en forme de pied de nez à ces maîtres-penseurs : «du passé faisons table rase » vieux rêve chanté dans l’Internationale, devient le mot d’ordre, tous bords confondus, du monde nouveau. Pour le pire ?

« État de crise » : nous avions annoncé ce titre pour notre nouvelle édition, dès le mois de septembre. Nous ne nous attendions pas à être aussi vite rattrapés par la réalité, avec une pareille violence. Que nous arrive-t-il ? Où allons-nous ? Bien malin qui pourrait donner une réponse assurée.

Sinon celle-ci, que les crises de cette ampleur traduisent, au-delà de revendications économiques ou politiques qui ont pu les déclencher, un mal-être plus profond, une inquiétude – une crise profonde de nos repères, de nos valeurs, une crise qu’il faut bien dire spirituelle.

Tout dans l’ordinaire des jours est fait pour nous ramener au statut de «consommateur» et de «producteur» – en oubliant qu’il est en chacun des rêves, des désirs, une capacité de création, une dimension de liberté, irréductible à ce qui prétend nous déterminer et nous contraindre : ce que la grande révolution romantique, et particulièrement l’immense Hugo, plus que jamais d’actualité, disait « le poème » en chacun. Le poème, le roman, la musique... ne réalisent-ils pas ce miracle d’être l’expression de la plus extrême singularité d’un créateur, et de parler pourtant au plus grand nombre – de créer, en somme, de « l’être ensemble»?

État de crise... à la différence des dogmes et des idéologies promptes à nous fournir des réponses sur tout, la puissance de la littérature n’est-elle pas de nous ramener à l’inquiétude des questions, sur nous-mêmes, sur les autres, sur le monde ? D’ailleurs, à bien y réfléchir, à l’opposé de ceux rêvant à un monde lisse, sans contradiction, l’espace même du roman est celui de la crise. Sans crise, quel roman ? Et, ce faisant, il nous reconduit à nous-mêmes, à notre meilleure part – à manifester ce que trop souvent nous oublions : que nous pouvons être, aussi, plus grand que nous-mêmes. En cela il est peut-être notre bien le plus précieux.


Réaction du Président de Région, Loïg Chesnais-Girard

"C’est avec une profonde tristesse que j’apprends le décès de Michel Le Bris. Lui qui disait « ma Bretagne est une île qui contient toutes les autres », avait compris la force des mots, de l’imaginaire, des voyages. C’est une grande perte pour beaucoup d’entre nous qui aimions l’entendre, le lire. La Bretagne lui doit beaucoup car, à chaque nouvelle aventure qu’il engageait, il avait la Bretagne avec lui.
Au nom de la Bretagne, je souhaite dire a sa famille notre peine et notre profonde reconnaissance.
Une dernière fois, MERCI à Michel Le Bris pour toute son œuvre, reconnue par le Grand prix de l’Académie Française, et pour son festival Etonnants voyageurs où tout devenait possible, le temps des débats.
 "
Loïg Chesnais Girard, Président de la Région Bretagne.


Philippe Le Roy

Publié le