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Louis Maufrais, médecin dans les tranchées, Conférence à Saint-Malo

Saint-Malo

Par la SHAASM
> Conférence de Martine Veillet
> Le Dr Louis MAUFRAIS, médecin dans les tranchées.
Ex-élève du collège de Saint-Malo, le destin du Dr Louis Maufrais, 24 ans, bascule en août 1914. Front d’Argonne et Champagne, en 1915. Enfer de Verdun et front de la Somme en 1916. Aisne et Verdun en 1917. Médecin dans les tranchées. Carnets devenus livre grâce à sa petite-fille.

Louis Maufrais, médecin sur tous les fronts de la Grande Guerre:
> d’une enfance bretonne à l’enfer des tranchées, l’histoire d’un engagement.
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En juillet 1914, Louis Maufrais aura bientôt 24 ans.
En vacances chez ses parents à Dol-de-Bretagne, il espère décrocher l’internat de Paris qu’il présentera à la rentrée.
C’est au collège de Saint-Malo où son père a été pensionnaire avant lui qu’il a pris goût aux études et décidé de son futur métier: il sera médecin comme son père.

Le 2 août, son destin bascule.
Perdu dans la foule des appelés sur le quai de la gare, il repère un ancien camarade du collège de Saint-Malo, Joseph Michel.
Ils feront leurs classes ensemble à la caserne de Saint-Lô où ils recevront leur affectation.

Joseph sera médecin aide-major d’un régiment d’artillerie, et Louis médecin auxiliaire d’un régiment d’infanterie.
Lors d’une permission, Louis rendra visite à Joseph, grièvement blessé à l’hôpital de Saint-Servan, peu de temps avant sa mort en 1918.
"J’ai laissé à Saint-Lô mes amitiés de jeunesse. Presque tous mes camarades qui partirent au front n’en revinrent jamais".

Ce constat de Louis Maufrais dans son témoignage "J’étais médecin dans les tranchées", est à l’image du carnage de la guerre 14-18, dont la Bretagne a payé un lourd tribut.

Versé dans le 94e RI, il part sur le front d’Argonne en février 1915.
Dans le bois de la Gruerie, dénommé le "bois de la tuerie" par les poilus, il assure les premiers soins avec des moyens dérisoires dans des postes de secours souvent bombardés.
Avec le défi permanent de trouver des brancardiers pour évacuer les grands blessés.
Les plaies provoquées par les éclats d’obus et les grenades sont monstrueuses.
Il est également confronté aux traumatismes psychiques causés par les bombardements.

Il sera envoyé en pleine nuit dans un poste avancé pour soigner un sergent rendu fou furieux par l’éclatement d’un obus ennemi, (un 210), menaçant de tuer tous ses camarades.
Dans ses attributions, Louis Maufrais a la charge de faire enterrer les morts.
Il recevra l’ordre d’aller relever le corps d’un colonel tué entre les lignes.
Une mission à haut risque qui lui vaudra une deuxième citation à l’ordre de la division.

Relevé le 17 juillet après avoir été pris dans les premiers gaz asphyxiants, il bénéficie des premières permissions mises en place en juillet 1915.

De retour à Dol, fraichement décoré de la Croix de Guerre, il reste muet sur tout ce qu’il vient d’endurer.
A l’arrière, personne ne mesure l’enfer que vivent les jeunes soldats.
Louis relèvera avec humour la réflexion d’une amie de sa mère rencontrée dans la rue. -Vous savez, j’ai vu votre fils. Eh bien il n’a jamais eu aussi bonne mine!-

C’est à la plage de Bon Secours et sur les remparts qu’il se ressource en famille, avec ses parents et sa petite sœur, pensionnaire au collège de Moka à Paramé.
Il reviendra dans la cité malouine à chacune de ses permissions pendant ses quatre ans de guerre.

"Cette campagne dans la forêt d’Argonne m’a laissé le souvenir le plus profond et le plus durable de toute la guerre.
Je vivais avec les officiers et les hommes.
Nous partagions la boue, les poux, la mitraille… les mêmes espoirs et les mêmes déceptions.
A la longue, il en était né une camaraderie sans réserve que je n’ai retrouvé dans aucune arme."


En mettant en exergue la solidarité totale de ses compagnons d’armes comme le fait essentiel de cette terrible bataille, Louis Maufrais révèle ici son humanisme.
C’est pendant cette première campagne, qu’il prend l’habitude rédiger son journal pour évacuer les multiples émotions qui l’assaillent.
Et dès qu’il le peut, il photographie la guerre, avec son Vest Pocket.
Tout en développant ses pellicules dans son cantonnement, pendant les relèves.

Après l’Argonne, les campagnes se succèdent.
La Champagne, dont l’offensive du 25 septembre 1915
est un désastre.
Le bataillon de Louis Maufrais se heurte à un réseau de barbelé intact que le génie n’a pas retiré.
Les blessés affluent.

Louis Maufrais note que son poste de secours est "tellement bondé qu’on a du mal à mettre un genou en terre pour déshabiller et soigner.
Les pronostics sont effarants: plaies pénétrantes de poitrine, du ventre, plaies pénétrantes du crâne par balle.
Un des blessés a la figure comme une boule de sang, la mâchoire inférieure fracassée.
Il ne peut plus émettre que des sons inarticulés.
Après lui avoir débarrassé la bouche de tous les caillots, j’arrive à lui faire passer une sonde dans l’œsophage par lequel nous lui injectons, avec l’aide d’une sorte de poire à lavement, de l’eau, puis du café."


En mars 1916, promu médecin aide-major, il connaîtra l’enfer de Verdun pendant 21 jours.
La redoute des quatre cheminées, Thiaumont face à Douaumont, Cumières et le Mort-Homme…

En septembre 1916, il est sur le front de la Somme.
Les blessés affluent à la ferme Le Priez, une sape allemande transformée en poste de secours.

Le 94e RI a perdu une grande partie de ses effectifs. Effondré, Louis note que "Royer, le seul autre natif de Dol de mon bataillon est porté manquant. Grièvement blessé il a disparu dans la boue".
Tous ses amis, après avoir survécu à l’Argonne, la Champagne et Verdun ont été tués.
Louis est découragé.
"Les images de la ferme Le Priez m’obsèdent.
Les corps entassés dans ce cul-de-sac envahi de gaz toxiques, cadavres et blessés pêle-mêle, le manque d’eau qui nous empêchait même de laver nos mains, l’odeur de sang, d’urine et de merde, les blessés légers qui se faisaient tout petits sur les marches de l’escalier, ces plaques sombres des mouches agglutinées qui tapissaient notre plafond…je n’oublierai jamais."


En février 1917, il est versé comme médecin du 2e groupe du 40e régiment d’artillerie de campagne pendant la seconde bataille de l’Aisne.
Il est à Cormicy le 16 avril, le jour de l’offensive Nivelle, puis à Verdun.

Enfin, en mars 1918, il est chirurgien assistant à l’ambulance 1/10 de la 42e division.
Au cours de sa mission itinérante, il fera de la chirurgie de guerre à l’hôpital de Dury à Amiens et installera une baraque chirurgicale dans Ham dévasté, en haute Somme. Après l’armistice, il est affecté à la mission française, près de la 3e armée anglaise, dans les régions délivrées du Nord.

En 1919, il aura bientôt 30 ans.
Cité cinq fois, décoré de la légion d’honneur, il n’a pas le cœur à fêter la victoire.
Il porte le deuil de sa jeunesse, de ses amis et de ses ambitions.

Il ne passera pas l’internat et deviendra médecin généraliste à Saint-Mandé.
Pendant l’entre-deux guerres, il reste pessimiste pour l’avenir de la paix. Promu capitaine de réserve, il demande à rester dans les cadres et fera des périodes d’instruction au Val-de-Grace.

En septembre 1939, il a cinquante ans.
Marié et père de trois enfants, il repartira à la guerre, versé comme médecin chef du secteur 52 de l’armée de l’air régional stationné à Reims.

La paix revenue, la vie reprend son cours. Son métier l’accapare, mais pendant ses loisirs, il revient sur la période la plus intense de sa vie: la guerre de 14.

Plongé dans ses carnets et dans ses albums, il écoute de la musique militaire.
Sa bibliothèque est peuplée d’ouvrages sur la Grande Guerre.

C’est à 84 ans, devenu aveugle, qu’il décide de rompre le silence.
Puisqu’il ne peut plus lire ni écrire, il racontera son livre au magnétophone.
Son épouse devient ses yeux.
Elle lui relit ses carnets, lui décrit ses photos…
Un peu avant sa mort en 1977, il laisse a chacun de ses enfants un lot de 16 cassettes de 90 minutes.

En 2002, sa petite-fille, Martine Veillet les écoute, les transcrit et décide d’en faire un livre qui paraît en 2008.
La parole de Louis Maufrais a été entendue.
Dans le courrier des lecteurs, huit d’entre eux ont reconnu leur grand-père dans le livre.

Olivier Boulet-Desbarreau, Vincent de Parades, Régis et Jean-Paul Oberthür, Marie-François de Selancy, Dominique Rouanet et sa sœur Geneviève. Adrien Royer. Sans oublier Hélène Bitch.
A travers leurs descendants, ceux de 14 se sont rencontrés.
Chacun avait apporté des carnets de guerre, des photos, ou des correspondances.
Le récit de Louis Maufrais s’en trouvait enrichi, prolongé.
Adrien Royer, de Saint-Coulomb, petit-fils du caporal Adrien Royer, devenu un ami, pourra en témoigner le 20 novembre…